Vous avez déjà eu cette impression bizarre en scrollant : tout se ressemble, tout sonne creux, tout sent le déjà-vu recyclé dix fois ? Ce n’est pas (que) vous qui fatiguez. C’est le web qui se remplit de slop.
Slop ? Littéralement, la « pâtée » qu’on sert au bétail. Sur Internet, c’est pareil : un mélange indigeste de contenus générés à la chaîne, sans âme, sans recul, juste là pour nourrir les algos et capter quelques miettes de trafic ou d’attention.
Et spoiler : l’IA est en train de transformer ce problème en tsunami.
Le slop, c’est quoi exactement ?
Le slop, ce n’est pas juste du « mauvais contenu ». C’est une combinaison de plusieurs ingrédients toxiques :
- Contenu ultra-générique, sans point de vue, sans expertise
- Produits à la chaîne, souvent grâce à l’IA, parfois à peine relus
- Pensés d’abord pour les algorithmes (SEO, recommandation, reach), pas pour les humains
- Réutilisant les mêmes idées, les mêmes phrases, les mêmes angles
On le repère souvent à deux choses :
- Vous avez l’impression d’avoir déjà lu la même chose 200 fois
- Après 1000 mots, vous n’avez strictement rien appris
La différence entre du contenu moyen et du slop ? Le contenu moyen vient au moins d’un humain qui a essayé. Le slop, lui, est souvent produit comme on fabrique des vis dans une usine.
Pourquoi le slop explose maintenant
Le web a toujours eu ses fermes de contenus, ses blogs poubelles, ses faux avis Amazon écrits un lundi matin à la va-vite. Mais l’IA a changé d’échelle. Elle a rendu le slop :
- Plus rapide à produire
- Moins cher à industrialiser
- Plus difficile à repérer pour l’utilisateur moyen
Trois facteurs se combinent :
1. Les IA génératives écrivent mieux que les pires rédacteurs sous-payés
Avec un prompt vaguement correct, n’importe qui peut générer :
- 50 articles “Les 10 meilleurs X en 2025” en un après-midi
- 100 descriptions produits “optimisées SEO” sans lire une seule fiche technique
- Des scripts de vidéos, des threads LinkedIn, des posts Instagram “inspirants”
Et comme le texte semble « propre », la plupart des gens ne voient pas le problème… jusqu’à ce qu’ils réalisent que tout est vide.
2. Les modèles économiques poussent au volume, pas à la qualité
Pub display, affiliation, dropshipping, programmatic SEO, influence low-cost… Tous ces modèles ont un point commun : plus de pages, plus de posts, plus de vidéos = plus de chances de gratter des clics.
Quand on peut faire 1 article bien bossé ou 50 articles moyens en un temps équivalent (merci l’IA), beaucoup choisissent… les 50. C’est mathématique, et souvent désastreux pour tout le reste du web.
3. Les plateformes récompensent le “signal”, pas la valeur
Les algos ne lisent pas vraiment. Ils regardent :
- Le temps passé
- Les clics
- Les commentaires
- La régularité de publication
Vous pouvez donc inonder une niche de contenu tiède, bien formaté, bien structuré, légèrement racoleur… et gagner la bataille de la visibilité, au moins pendant un temps. Le slop adore ce terrain de jeu.
À quoi ressemble le slop, concrètement ?
Vous en croisez tous les jours. Même si vous ne mettez pas encore un mot dessus.
Sur le web “classique” :
- Des sites qui publient 30 articles par jour sur “Comment choisir X en 2025 ?”, tous structurés pareil, avec les mêmes recommandations
- Des blogs qui se contentent de reformuler Wikipédia ou la première page Google
- Des tutoriels qui expliquent des évidences sans jamais rentrer dans le concret (on vous promet “le guide ultime”, vous obtenez un sommaire vague)
Sur les réseaux sociaux :
- Des carrousels LinkedIn clonés : même design, même storytelling, mêmes “5 leçons qui ont tout changé”
- Des TikTok/Shorts avec des voix off IA qui lisent un script généré en 2 minutes, sur fond de gameplay ou de compilation d’images sans rapport
- Des Reels Instagram qui recyclent les mêmes citations motivationnelles, juste avec un autre fond de plage au coucher du soleil
Dans le e-commerce :
- Des fiches produits qui accumulent les mêmes adjectifs vides : “innovant”, “premium”, “unique”, “parfait pour toutes les occasions”
- Des pages catégorie avec 600 mots de blabla SEO qui n’aident pas du tout à choisir
Le point commun de tout ça ? Ça fait semblant d’être du contenu. En réalité, c’est juste du remplissage.
Pourquoi le slop est un vrai problème (et pas juste un irritant)
On pourrait se dire : “Bon, c’est moche, mais pas dramatique.” Sauf que si, c’est un souci majeur, à plusieurs niveaux.
1. Ça pollue l’attention
Votre temps de cerveau est limité. Chaque minute passée sur un contenu creux, c’est une minute que vous ne passez pas :
- À apprendre vraiment quelque chose
- À découvrir un créateur qui fait du bon boulot
- À approfondir un sujet au lieu d’en rester à la surface
Le slop, c’est comme du fast-food mental : sur le coup, ça “remplit”, mais derrière, vous n’avez rien construit.
2. Ça pousse les bons créateurs vers le bas
Quand des fermes à contenus sortent 1000 articles par mois sur une niche, un indépendant qui fait de l’analyse pointue, des tests sérieux, des retours d’expérience concrets… a mécaniquement moins de place dans les SERP, les fils d’actualité, les recommandations.
Résultat : ceux qui produisent du contenu utile se découragent. Et certains finissent par se dire : “Autant faire comme les autres.” Glissement progressif vers le slop généralisé.
3. Ça nuit aux marques
Pour une marque, se dire “on va booster notre contenu avec de l’IA” peut être une bonne idée… ou un excellent moyen de flinguer sa crédibilité.
Quelques effets collatéraux :
- Des articles qui alignent des banalités : impossible de se différencier
- Des erreurs factuelles ou légales (dans des secteurs sensibles, ça peut coûter cher)
- Une voix de marque qui se dilue dans un ton générique à la ChatGPT
Si vos prospects lisent 5 sites de votre secteur et qu’ils ont tous l’air écrits par la même machine, pourquoi vous choisiraient-ils, vous ?
4. Ça fragilise la confiance dans le web
Plus le slop se répand, plus une réaction logique apparaît : le doute systématique.
À force de tomber sur des contenus IA recyclés, on commence à se demander :
- “Qui a vraiment écrit ça ?”
- “Est-ce que la personne qui signe sait de quoi elle parle ?”
- “Est-ce que je peux encore me fier à ce que je lis ?”
Le problème, ce n’est pas l’IA en soi. C’est l’absence de transparence et de responsabilité derrière.
Comment repérer le slop (et éviter de perdre votre temps)
La bonne nouvelle : avec un peu d’entraînement, on développe un radar à slop assez fiable.
Quelques signaux faibles :
- Tonalité lisse, neutre, sans personnalité, sans anecdotes
- Beaucoup de mots, très peu de concret (pas de chiffres, pas d’exemples précis, pas de cas réels)
- Réutilisation des mêmes tournures de phrases que vous voyez partout
- Absence totale de prise de position (“ça dépend” du début à la fin)
- Réponses superficielles à des sujets complexes, en mode “3 astuces pour tout régler”
Les bons réflexes :
- Regarder qui signe : existe-t-il vraiment ? A-t-il une expertise identifiable ?
- Chercher des traces de travail réel : tests, retours d’expérience, captures, sources citées
- Comparer avec une source reconnue sur le même sujet : y a-t-il un apport, ou juste un remix ?
Si vous pouvez changer le sujet de l’article (marketing, sport, santé, développement perso…) sans que ça choque, vous êtes probablement face à du slop.
Marques, médias, freelances : comment ne pas basculer du mauvais côté
On ne va pas faire semblant : l’IA est un outil puissant. Refuser de l’utiliser “par principe” n’est pas plus malin que d’écrire encore au stylo plume pour tous vos contenus.
La vraie question, c’est : comment l’utiliser sans sombrer dans le slop ?
1. Utiliser l’IA pour préparer, pas pour remplacer
L’IA est excellente pour :
- Brainstormer des angles d’articles
- Proposer des plans, des structures
- Aider à reformuler ou simplifier un passage
- Générer des variations de titres, d’accroches
Mais dès qu’on passe dans :
- “Génère-moi 2000 mots sur ce sujet et je publie tel quel”
- “Fais-moi 50 posts LinkedIn d’un coup pour le mois prochain”
…on met un pied (puis deux) dans le marécage du slop.
2. Hyper-spécialiser votre contenu
Là où les IA généralistes brillent moins, c’est dans :
- Les expériences de terrain (vos tests, vos retours clients, vos échecs)
- Les données internes (vos chiffres, vos campagnes, vos résultats)
- Les opinions argumentées (vos prises de position, vos choix stratégiques)
Ce qui fait la différence aujourd’hui :
- Des cas concrets, détaillés
- Des méthodes illustrées
- Des “voici ce qu’on a tenté, voici ce qui a marché, voici ce qui a foiré”
C’est précisément ce que le slop ne sait pas faire. Exploitez ce fossé.
3. Assumer une voix, un ton, une posture
Le slop est neutre, poli, creux. Vous pouvez vous en démarquer par :
- Un ton plus direct, plus franc (sans tomber dans la caricature)
- Des désaccords assumés avec des idées “mainstream” de votre secteur
- Des références à votre réalité : votre équipe, vos clients, votre contexte
Oui, ça veut dire que tout le monde ne sera pas d’accord avec vous. C’est justement ce qui crée de la valeur : vous existez.
4. Mettre en place des garde-fous internes
Si vous pilotez une équipe contenu ou une agence, posez des règles claires :
- L’IA ne publie jamais en direct. Un humain valide, réécrit, enrichit.
- Chaque contenu doit comporter au moins un élément que l’IA ne pouvait pas inventer : donnée, exemple, expérience.
- Les rédacteurs doivent indiquer où et comment l’IA a été utilisée.
C’est moins “scalable” ? Oui. C’est précisément le but.
Le cas des réseaux sociaux : slop à grande vitesse
Sur les réseaux, le slop progresse encore plus vite que sur le web éditorial. Pourquoi ? Parce que la durée de vie d’un post est minuscule et que la pression à la régularité est énorme.
On voit déjà :
- Des comptes entiers gérés par IA (texte + visuels + commentaires auto-générés)
- Des floods de carrousels et de threads recyclant les mêmes idées de “productivité” ou de “growth”
- Des contenus traduits automatiquement dans 10 langues, sans adaptation culturelle ni contexte
Si votre stratégie social media se résume à : “On va poster plus que les autres”, vous jouez exactement le jeu du slop. Et vous vous battez avec les mêmes armes que des fermes de contenus qui n’ont rien à perdre.
Une autre voie existe :
- Poster moins, mais mieux : des contenus qui méritent un enregistrement, un partage, un commentaire réfléchi
- Créer des formats récurrents avec de la vraie valeur (analyses, coulisses, décryptages, tests)
- Travailler l’interaction réelle : réponses personnalisées, débats, suivis de conversations
L’IA peut vous aider à gagner du temps sur la forme, mais c’est à vous d’apporter la substance.
Les moteurs de recherche et les plateformes vont-ils nettoyer le slop ?
Question logique : est-ce que Google, TikTok, Meta & co vont laisser faire ?
Ils n’ont pas intérêt à tuer la qualité, parce que si tout devient slop, les utilisateurs partent. Mais ils ont aussi un problème : à court terme, le slop “performant” ressemble à du bon contenu dans leurs métriques.
On voit déjà des réactions :
- Google qui parle d’“information helpful” et qui tente (plus ou moins bien) d’ajuster ses algos
- Les plateformes qui limitent la portée de certains formats jugés “spammy”
- Des tests de systèmes de labellisation de contenus IA (avec tous les problèmes que ça implique)
Ne rêvons pas : les plateformes ne vont pas sauver le web à votre place. Leur priorité, c’est leur business, pas votre santé mentale ou la qualité de l’information.
La responsabilité est donc aussi :
- Chez les créateurs, les marques, les médias, qui choisissent la voie qu’ils empruntent
- Chez les utilisateurs, qui récompensent (ou non) le slop par leurs clics, leurs partages, leur attention
L’IA sans slop, c’est possible ?
Oui. Mais ça demande de changer radicalement la façon dont on la voit.
Si vous considérez l’IA comme un “raccourci pour produire plus”, vous fabriquez du slop.
Si vous la considérez comme :
- Un assistant de recherche
- Un outil pour structurer vos idées
- Un sparring-partner pour challenger vos raisonnements
…alors vous pouvez au contraire augmenter la qualité de ce que vous créez, tant que vous restez aux commandes.
La différence se joue souvent sur une question simple : est-ce que vous seriez fier de signer ce contenu avec votre nom, en face à face, devant quelqu’un qui connaît vraiment le sujet ?
Si la réponse est non, vous savez dans quelle catégorie il tombe.
Le web n’a pas besoin de plus de contenu. Il a besoin de plus de contenu qui ne puisse pas être remplacé par trois prompts et un clic sur “générer”. À chacun de choisir de quel côté il veut se placer.

